CHRONIQUE D'UNE DÉMOCRATIE ANNONCÉE-Publication intégrale

Publié le par O. Tity Faye

VIII - L’ASSEMBLÉE NATIONALE EN PERSPECTIVE 

En 1994, La Guinée occupe toujours la dernière place au classement du Programme des Nations-unies pour le développement (Pnud) en ce qui concerne l’Indice de développement humain (Idh). Sur le plan économique les actions entreprises ont été insuffisantes pour atteindre les normes prescrites s’agissant de l’accès des populations à l’éducation, à l’eau potable, à l’électricité, à un habitat décent et aux soins de santé. Malgré tout, les autorités nationales continuent à opposer aux statistiques du Pnud les leurs. Le gouvernement atteste que certaines données n’ont pas été prises en compte par l’agence des Nations-unies.

En réalité, l’économie guinéenne reposait (même avec le lancement des réformes d’ajustement structurel) sur les bouffées d’oxygène de la Banque mondiale et du Fonds monétaire internationale (Fmi). Au fil des années, les négociations ont du mal à aboutir. La gestion de l’économie nationale est toujours en butte aux critères de salubrité financière ou à ceux de bonne gouvernance. La situation sociale reflétait aussi bien les insuffisances économiques du pays que les conflits et controverses nés de la gestation d’un nouveau paysage politique en Guinée. La validation des résultats des élections présidentielles du 19 décembre 1993 a plutôt contribué à cristalliser les crispations sociales, les insatisfactions politiques ainsi que les hésitations et doutes de la communauté financière internationale.

La cérémonie pour l’investiture du Chef de l’État, en 1994, a été organisée suivant deux modèles de cérémonie : l’une dans les camps militaires et la seconde cérémonie au palais du Peuple. Cette dernière n’a pas connu la présence massive des chefs d’États africains ou de pays amis à travers le monde. Leur présence aurait pu ajouter une couche de crédit à la victoire du président Lansana Conté. Il reviendra aux représentations diplomatiques de s’acquitter du devoir « d’honorer » les invitations ! Les réticences de la Cour internationale des juristes à admettre la régularité des scrutins du 19 décembre 1993, a eu son effet. Par ailleurs, les pays voisins limitrophes du Libéria et de la Sierra Léone étaient en crise. Mais la diplomatie guinéenne aussi cuvait sa crise. La situation d’isolement de l’État guinéen en était l’une des conséquences.

Une diplomatie guinéenne en quête d’identité - Au moment de la célébration de l’élection du Général Lansana Conté comme président démocratiquement élu, la diplomatie guinéenne cherchait de nouveaux repères.

Avec le régime d’exception du Cmrn, sous la direction du Lieutenant-colonel Lansana Conté, cette diplomatie avait perdu pied. Après la prise de pouvoir par l’armée, les « visites d’explication » ont été organisées dans les pays d’Europe, dont la France, de 1984 à 1987. Mais l’élaboration d’une politique diplomatique n’a pas été effective.

En France par exemple, des déclarations contradictoires opposent le Premier ministre, le Lieutenant-colonel Diarra Traoré au ministre des Affaires étrangères, le Capitaine Facinet Touré, à propos de la politique étrangère guinéenne. Le premier jouant, à fond, la carte de l’intimidation mettait en avant la souveraineté guinéenne à conduire ses propres affaires. Une position qui avait déjà valu à la Guinée une autarcie forcée de plus de vingt ans.

Le second insistait sur le désir des nouvelles autorités de bénéficier de soutiens pour le redressement envisagé par le Cmrn. Dans le duel de préséance, la Guinée ne réussit ni à conserver les points de coopération de l’ancien régime ni à développer de nouveaux liens de coopération bilatérale aux premiers moments de la prise de pouvoir par l’armée.

De potentiels partenaires s’en tiennent à la reconnaissance de fait du nouveau régime. Sans plus. Les visites d’État du président de la République ciblent, en majorité, les pays de l’Est de l’empire soviétique. La coopération bilatérale va s’en ressentir.

Sur le plan multilatéral, les prestations avec les Nations-unies et la Communauté économique européenne (actuelle Union européenne) donnent des résultats. Ils permettront, plus tard, à la Guinée d’être parmi les élèves permanemment soumis aux tests du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Ce sont les principaux axes sur lesquels la politique diplomatique guinéenne va se développer jusqu’à la fin des années 80 et au début des années 90.

Dans l’intervalle, l’initiation d’une « diplomatie du développement » pour la réorienter n’y changera pas grand-chose. Le pouvoir en place avait, pourtant, fait appel à des personnalités de l’ancienne équipe diplomatique du dernier gouvernement de la 1re République. On peut considérer, qu’avec des facteurs économiques déplorables, cette diplomatie a été freinée par les problèmes liés à la bonne gouvernance et au respect des droits de l’homme en Guinée.

À la suite du Capitaine Facinet Touré au ministère des Affaires étrangères, des technocrates comme Lamine Kamara et Zaïnoul Abidine Sanoussi se sont succédé à la tête de la diplomatie guinéenne avec des résultats mitigés. Malgré des réformes et une volonté, le pouvoir n’a pas investi les moyens financiers nécessaires pour soutenir une offensive diplomatique avec des objectifs précis sur le plan économique et politique. Il est à noter que pendant plusieurs années cette diplomatie ballotait, du fait de la guerre civile Libérienne et de la crise sierra léonaise, entre une « diplomatie de guerre » indéfinie et une véritable politique diplomatique pour le développement irréalisable dans ces conditions.

L’afflux des réfugiés en provenance de ces deux pays limitrophes a été une préoccupation constante. Ces difficultés et les erreurs dans la conception et la mise en œuvre d’une politique extérieure internationale obligent la diplomatie guinéenne à un recentrage sur les questions sous-régionales à travers la C.e.d.e.a.o et principalement la Force d’interposition africaine (Ecomog). La Guinée a pu alors jouer un rôle prépondérant dans le retour de la paix au Libéria et en Sierra Léone.

Sur le plan de la coopération économique sous-régionale, des projets majeurs comme l’exploitation des richesses du Mont Nimba ou du fleuve Niger sont restés sur le papier après quelques rencontres inter-états. En réalité, les problèmes de non-respect des droits de l’homme et des libertés au cours du processus de transition, de 1984 à nos jours, vont, grandement, contribuer à l’affaiblissement de la diplomatie guinéenne internationale. Paradoxalement, ce sont, surtout, les représentations diplomatiques accréditées en Guinée qui évaluent la transition démocratique guinéenne.

VIII.1 – Législatives : La recomposition du paysage sociopolitique

Après l’investiture du président de la République, l’opinion publique nationale et internationale s’attendait à la nomination d’un gouvernement issu des évènements politiques qui représenterait les tendances électorales.

Les responsables du Pup, eux, croyaient en une consultation entre le parti et le président élu, pour la composition du nouveau gouvernement. Une telle démarche aurait initié une gestion du pays par un parti avec son candidat élu et limité les risques de confiscation personnalisée du pouvoir.

Malgré son silence, une partie de l’opposition espérait en la mise en place d’un gouvernement du consensus, visant aussi bien à atténuer les frustrations nées des élections présidentielles qu’à démarrer un processus de bonne gouvernance. C’était tout au moins le souhait explicite des partis politiques centristes n’appartenant pas à la branche radicale de l’opposition. Le Général Lansana Conté, « nouveau président démocratiquement élu », adopta une toute autre démarche. Il mit en place un gouvernement de son cru.

Implicitement, le Pup, en marge de la gestion directe du pouvoir exécutif avec le chef de l’État, devrait faire ses preuves aux élections législatives. Le parti, qui soutient les actions du gouvernement, va devoir se contenter de ce qu’il obtiendra de par sa position à l’Assemblée nationale. L’inversion de l’échéancier électoral avait permis au président élu de se soustraire de la pression du parti politique qui avait présenté sa candidature.

Seul coup d’éclat à retenir : suite à des divergences au sein de l’opposition, le leader de l’Unr, Mamadou MBoye Bah signa au Musée de Sandervalia une alliance avec le Pup, le parti qui soutient les actions du gouvernement. Ce fut si soudain et si éphémère qu’il y eut peu de temps pour en cerner les raisons profondes ou l’impact. Dans l’attente de la date des législatives, les activités sont réduites à de rares permanences dans les sièges des États-majors des partis politiques. Plusieurs des leadeurs politiques voyagent à l’étranger.

Entretemps, quelques évènements politiques se produisent qui contribuent à changer le paysage politique ainsi que la nomenclature des partis politiques aux élections législatives.

La scission du Pdg-Rda - La scission du Pdg-Rda donne naissance à un autre parti, le Pdg-AST dont Marcel Cross, ancien ministre sous la première République, devient le Secrétaire général. En même moment, l’Association des enfants des victimes du camp Boiro agitait l’hypothèse d’intenter un procès à l’ex parti unique, le Pdg. Me Aminata Barry, Secrétaire aux relations extérieures déclara à ce propos : « Deux tendances s’étaient formées au sujet de ce procès. La première tendance voulait que nous accélérions la procédure avant que le Pdg n’aille aux élections. La deuxième tendance proposait de le laisser se parcelliser aux présidentielles afin qu’il évalue son propre poids électoral. C’est cette dernière qui a prévalu. Et, elle était raisonnable. Le peuple qui n’est pas dupe a rendu son verdict. Le Pdg ne représente strictement rien en Guinée...  Ghussein a été loin de la barre qui lui aurait permis de récupérer sa caution »[i]. 

Il est difficile de dire quel évènement a impliqué l’autre. Alors que les deux antagonistes du Pdg se disputaient l’apanage du sigle devant la Cour suprême, Sidiki Kobélé Kéita, qui fut l’historiographe du président Ahmed Sékou Touré, depuis la première République, publiait un ouvrage intitulé «Y a-t-il eu complot en Guinée de 1958 à 1984 ?». Par des témoignages, jusqu’alors inédits, l’auteur y démontre la véracité de l’existence des complots que certains s’accordent à considérer comme des montages qui ont permis au défunt président de se débarrasser de ses adversaires politiques. Dès l’introduction, il explique sa motivation : « Le souci de sortir de l’ombre un pan de l’histoire guinéenne »[ii]. Le débat fait verser de l’encre. Il s’est poursuivi, des années plus tard, par un procès non plus contre le Pdg qui s’était scindé en deux (Pdg-Rda et Pdg-AST) entretemps, mais contre Sidiki Kobélé Kéita. 

L’alliance pour le renouveau national - Les conséquences des élections présidentielles étaient encore sensibles dans le pays. La région de la Haute Guinée, « fief » du Rpg était, depuis les élections présidentielles, sous mandat militaire jusqu’à nouvel ordre ! Dans le cadre des législatives prochaines, une question importante restait en suspens : quelles seront la nature et la composition de la commission électorale ? Les partis politiques ne s’attelaient pas à faire aboutir cette ultime revendication.

L’apparition de l’Alliance pour le renouveau national (Arena) contribue, également, au changement du paysage politique à l’approche de ces élections législatives. Il est dirigé par Dr Sékou Gouréïssy Condé un des jeunes leadeurs de partis politiques au cours de la transition démocratique en Guinée. Un produit de l’école idéologique de l’ex parti unique, le Pdg., Dr Sékou Gouréïssy Condé a été Vice-président du Conseil d’administration de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry en 1979. Il avait, sous le régime révolutionnaire de Guinée, bénéficié d’une bourse du gouvernement guinéen pour des études de Criminologie dans une université en Europe de l’Est. Après le décès du président Ahmed Sékou Touré, en 1984, il fait un doctorat en Sociologie avant de revenir en Guinée au moment où démarrait le processus de transition démocratique. Centriste non révélé au départ, il adopte, à l’opposé d’Oury Bah de l’Ufd, un discours politique dont la flexibilité le conduira au gouvernement.

Dans le courant du mois de mars 1994, l’Arena se positionne pour une participation plus active au débat politique, voire aux élections législatives. Dr Sékou Gouréïssy Condé, au cours de la conférence de presse organisée le 5 mars, propose une démarche politique différente de celle des chefs conventionnels de l’aile radicale de l’opposition » Il explique : « Être à la présidence de la République n’est pas forcément l’objectif d’un parti politique. Le parti politique étant un vecteur social, un outil de rassemblement et de propositions, il pourrait jouer un rôle prépondérant en dehors du gouvernement. Le parti politique peut intervenir dans les projets de développement du pays en utilisant par exemple ses relations pour promouvoir les petites et moyennes entreprises ou, (pourquoi pas ?) en faisant des propositions concrètes et sincères dans ce sens »[iii].

Mais, pour le jeune leader, il y a des préalables à remplir : « Il faut que les leadeurs politiques obtiennent toutes les garanties de sécurité nécessaires afin d’instaurer l’esprit démocratique, socle de tout développement », déclare-t-il. Commentant les élections présidentielles, il affirme : « L’échec de l’opposition à l’élection présidentielle est due aux supputations mesquines des sept candidats de l’opposition ».

Ainsi, dans la perspective des élections législatives, Dr Sékou Gouréïssy Condé développe une tactique : « À la veille des élections présidentielles, les ambitions personnelles ont affecté la préparation des travaux de concertation. Les alliances constituent les seuls moyens de survie des partis politiques. Il faut que les leadeurs politiques comprennent que les alliances dans le débat politique constituent des espèces de soubassements sains, pour éviter le monopole d’une personne ou d’une personnalité sur une idée ».

À l’image d’autres chefs de partis politiques, il s’attendait à ce que des élections du 19 décembre 1993 émerge un consensus national : « Je souhaite vivement que le chef de l’État accepte de mettre en place un gouvernement d’ouverture ». Le leader de l’Arena considérait que la situation s’y prêtait puisque la moitié des populations a voté pour l’opposition. Pour lui, le vote des électeurs (au regard des résultats du scrutin) appelait au partage des pouvoirs pour l’instauration d’un État de droit. Pour le Général Lansana Conté, le jeu politique devrait se dessiner à partir des urnes, aux législatives.

Un procès des gangs et une leçon de justice sociale ! Ces points d’actualités politiques se développaient de pair avec l’aggravation de l’insécurité dans le pays. Ce qui renvoyait au second plan les préoccupations politiques au niveau des citoyens. Les attaques à main armée et les tueries, de jour comme de nuit, avaient fait de Conakry et de certaines autres villes du pays, les otages des gangs armés. Les citoyens dans la rue, les magasins, les marchés publics et les demeures de personnes riches étaient tous des cibles.

Cette insécurité avait atteint son point culminant avec des incidences négatives sur la vie sociale dont elle tirait d’ailleurs ses recettes de cuisine. Le chômage des jeunes, la faiblesse des revenus et la cherté de la vie du fait de la valse incontrôlée des prix, rendaient la vie quotidienne pénible. Loin d’être des excuses au banditisme, ce sont des éléments qui contribuent à sa genèse et sa prolifération. Il y a, également, beaucoup d’autres critères éthiques à considérer, telles que la morale, l’organisation sociale et l’éducation. 

En Guinée, cet ensemble de garde-fou éthique a connu un déclin notable au profit des « affaires » purement politiques.  Le département chargé de la sécurité était celui qui avait la responsabilité de l’organisation des élections nationales. Il est donc facile de dire que le gouvernement avait fait son choix de s’occuper en priorité de la transition démocratique que de la sécurité des citoyens. Pour battre en brèche une telle assertion, le pouvoir en place n’hésita pas à accuser les réfugiés en provenance des pays limitrophes en crise, le Libéria et la Sierra Leone, d’être responsables de l’insécurité environnante. Le procès des gangs y apportera un démenti formel. Aucun réfugié, sur les 70 présentés à la barre, n’y fut inculpé.

Les revendications de la police nationale pour améliorer la situation n’avaient pas abouti : il y avait un (1) policier pour 3000 habitants en Guinée entre 1993 et 1994. On ne peut en conclure qu’une chose : le laisser-aller au profit d’autres priorités. Cela s’explique, en Guinée, suivant deux axes complémentaires. Premièrement, une situation économique dans l’incapacité de fournir le minimum requis dans la presque totalité des domaines.

Deuxièmement, la simple absence d’une volonté de le faire. Cette dernière fut démontrée. En effet, malgré l’absence de nouveaux moyens, un groupe de policiers, les antigangs, conduits par le Capitaine NDaw, a réussi en l’espace d’un mois à démanteler le principal réseau de gangs qui terrorisait la capitale. Les arrestations ont été effectuées. Un procès public a été organisé. Diffusé sur le territoire national par la radio et la télévision, il visait à décourager de nouveaux prétendants au banditisme. Ce procès a couvert la période de la fin 1994 aux débuts de 1995.

Ce fut une première. Son importance a été de donner aux populations guinéennes des leçons de droits et devoirs en matière de justice démocratique. Elles apprendront à croire en la justice, quand elle est à leur portée et à leur service. Pour la première fois, ces populations apprennent les rôles définis des acteurs qui composent un processus de justice. Le juge, Me Doura chérif, le procureur de la République Me William Aboly, le greffier, les témoins, ainsi que plusieurs avocats qui ont assuré la défense des accusés ont servi d’exemples. Les accusations et condamnations, suivant les degrés de culpabilité, ont fait l’objet de discussions plutôt éducatives dans l’opinion nationale. L’espoir d’une justice équitable, qui protège le citoyen, était né à partir de ce procès.

Mais la tradition des procès se poursuivra en Guinée sous des formes qui raviveront les doutes, amèneront des déceptions, des déviances et des défiances. Dans plusieurs contextes, la justice guinéenne servira directement ou indirectement à protéger les tenants du pouvoir, les hauts cadres responsables de délits. Peu d’auteurs de corruption, de fraudes, de malversations, de détournements de fonds publics subiront l’examen de cette justice nationale au cours des années à venir. Le monde des « affaires administratives et gouvernementales » échappait, totalement, à la justice dans l’incompréhension populaire. À son actif, ce procès médiatisé des gangs a apporté une trêve à l’insécurité. Ce qui a conduit, calmement, aux élections législatives. 

Malgré tout, un fait obscur reste, cependant, non élucidé.  Dans la nuit du 31 décembre 1994 au 1er janvier 1995, un groupe de malfaiteurs sont morts dans des circonstances mystérieuses. La rumeur clamera qu’ils « en savaient trop ». Leurs complicités au niveau des services de sécurité étaient-elles si compromettantes ? Le groupe était sous mandat de dépôt à la Maison centrale de Conakry. Le plus célèbre de ces malfaiteurs était un certain « Kalil le général ».

VIII.2 – Des électeurs démunis

La date des élections législatives fut fixée au 11 juin 1995. Les partis politiques décident, tout de même, d’attendre l’approche de la date pour se mettre en campagne et préparer leurs électeurs à une participation à des élections qui s’avèrent différentes, par le contenu, des élections présidentielles. Des problèmes telles que la composition et la mise en place de la Commission électorale n’avaient, jusqu’alors, pas eu le dénouement souhaité par l’opposition. Les leaders politiques s’en tenaient donc à la promesse faite par le ministre de l’Intérieur et de la sécurité, Alsény René Gomez, « de corriger ensemble les erreurs commises lors des présidentielles ». Ils ont donc cru que leurs revendications seront, de facto et de jure, prises en charge par le gouvernement.

Les obstacles rencontrés lors des présidentielles persistaient encore. Parmi eux, le manque de cartes d’identité nationale qui avait, déjà, empêché les votes de plusieurs militants lors de l’élection présidentielle. L’éducation de l’électorat à cet effet, et les dispositions administratives à prendre auraient dû être parmi les préoccupations de l’entre deux élections. L’un des grands défis pour les électeurs était de comprendre la différence entre les deux types de scrutin retenus : le scrutin uninominal majoritaire et le scrutin de la liste nationale à la représentation proportionnelle. Le nombre total de députés étant fixé à 114, trente-huit députés (38) devraient être élus au scrutin uninominal à un tour.

La spécificité de ce vote est qu’il porte sur le nom des individus choisis par le parti. Les 76 députés restant étaient à élire au scrutin de liste nationale à la représentation proportionnelle. Le principe est de répartir les sièges en fonction du pourcentage de suffrages obtenus. En d’autres termes, le nombre de votants sur la liste électorale est divisé par le nombre de votes recueillis par chaque parti politique pour définir le nombre de sièges acquis dans les localités ou circonscriptions. Dans le cas guinéen, le territoire national était considéré comme une circonscription unique.

Lors des élections législatives, chaque parti devrait présenter une liste nationale comportant les 76 noms et une liste uninominale de 38 noms. La tournée d’information que le ministre de l’Intérieur a organisée dans les districts fut considérée par l’opposition comme une campagne pour le vote des administrés en faveur du pouvoir. Son impact, en termes d’explications concernant les types de scrutin, s’en ressenti énormément.

Très peu parmi les populations comprenait ces types de scrutins, leur différence ou leur importance. Pire, la plus large part de l’électorat des partis politiques n’avait pas une idée précise de l’enjeu de ces élections législatives dans les rapports de force et la configuration politique future du pays. Le Pup, ayant dans sa banque électorale l’administration nationale avait un avantage.

L’éclatement de la crise latente au sein du Rpg - En 1995, à quelques mois de ces élections législatives du 11 juin 1995, un évènement important contribue, aussi, à la modification du paysage politique en Guinée. Ahmed Tidiane Cissé, écrivain et professeur de danse, alors Secrétaire général adjoint du Rpg, annonça sa démission de ce parti. Il a été avec Kerfalla Bangoura du Prp les plus populaires, à leur poste, sur la scène politique guinéenne lors de cette transition démocratique.  En fait, on peut affirmer sans hésiter, que de par leur personnalité et leur charisme, ils ont été parmi les rares « second rôle » à passer au travers de l’écran que constituaient les leaders au sein des partis politiques.

En Guinée les formations politiques avaient été construites aussi sur le nom et l’autorité de personnalités uniques. À telle enseigne que l’existence de courants de pensée n’avait d’autres aboutissements que de faire des transfuges ou susciter des démissions entrainant la création de nouveaux partis politiques.

Les raisons fondamentales qu’évoque Ahmed Tidiane Cissé pour expliquer sa démission du Rpg, sont, dit-il, « la volonté du leader du Rpg de diriger le parti de l’extérieur » d’une part. De l’autre, « son désir d’orienter le parti à sa guise »[iv]. Il y a donc eu un conflit sur le mode de fonctionnement du parti. Plusieurs de ceux qui suivent Ahmed Tidiane Cissé affirment en substance « ne plus pouvoir continuer à subir l’autorité personnelle du chef d’un parti refusant les courants de pensée ». Il est vrai que les longues absences, dues à de fréquents voyages, du Pr Alpha Condé en dehors de la Guinée ont fait l’objet d’interprétations diverses au sein de l’opinion nationale toutes sensibilités confondues.

Le départ d’Ahmed Tidiane Cissé du Rpg a eu pour épilogue, la création du Mouvement des démocrates patriotes (Mdp). Utilisant aussi bien les partisans qui l’ont suivi que, plus tard, une alliance avec l’Upg de Jean Marie Doré, son parti fera partie des candidats aux élections législatives du 11 juin 1995. Dans l’opinion publique, on se posait les questions suivantes : Comment le leader du Rpg avait-il pu se passer d’un adjoint aussi utile au développement du parti ? Quels en seraient les conséquences aux législatives ?

VIII.3 – Les élections législatives du 11 juin 1995

L’accélération des préparatifs matériels des élections législatives par le gouvernement, à partir des mois de février et mars 1995, réveille les partis politiques. La routine de ces préparatifs était à l’image de celles des présidentielles. Cette fois-ci la Commission électorale nationale est mise sur pied. Bien que la question de son indépendance reste encore un sujet de mésentente entre le pouvoir en place et l’opposition.

Conscient des difficultés de la majeure partie des populations à comprendre le mécanisme des élections législatives, le gouvernement avait préparé et diffusé, dans les principales langues nationales du pays, des sketchs explicatifs sur les modalités de vote et d’acquisition de la carte d’identité nationale. Il tentait, ainsi, de compenser, l’échec de la tournée du ministre de l’Intérieur et de la sécurité

À trois mois des échéances électorales, c’est dans l’expression directe des partis politiques, à la radio et à la télévision, que les représentants des formations politiques se font entendre. Ils tentent, à leur tour, de faire comprendre à leur électorat l’utilité des votes aux législatives. Malheureusement, la plupart des discours se réduisent à quelques promesses ou à la critique du pouvoir en place. Les formations politiques n’expliquent pas le jeu d’équilibre des pouvoirs à tirer d’une victoire aux législatives. Ils ne démontrent pas comment une victoire aux législatives contribuerait à contrebalancer la défaite aux présidentielles.

Dans la liste des partis politiques, l’opposition perd la quotepart de l’Union nationale pour la prospérité de la Guinée (Unpg) de Facinet Touré. Sans raisons politiques exprimées, il a annoncé ne pas prendre part aux élections législatives. On apprend, simplement, que des négociations de notabilités de la Coordination de la Basse Guinée étaient en cours pour son retour au bercail. C'est-à-dire dans le giron du pouvoir ! Une réconciliation avec le Général Lansana Conté se profilait à l’horizon.

Pour les législatives, des alliances circonstancielles, renaissent. Le Mouvement des démocrates patriotes (Mdp) d’Ahmed Tidiane Cissé a choisi l’Upg. L’Unp de Louis Faber s’adossa au Pup. Le Pdg-Rda de Marcel Cross devait faire ses preuves pour entrer dans le Cénacle. Les partis politiques de jeunes leaders, comme l’Arena, La cause commune font des alliances sans retombées politiques directes.

Le choix des représentants au sein des états-majors des partis politiques a occupé une place prépondérante au point d’affecter leurs activités sur le terrain. C’est, surement, ce qui fut à l’origine de l’éclipse des alliances électorales qui avaient bourgeonné de 1992 à 1993. Le Pup fut le premier à rejeter publiquement les candidatures en provenance des partis membres de la mouvance présidentielle. Dans le parti qui soutient les actions du gouvernement, l’on doutait aussi de la surface électorale de certains candidats et de leur compétence à assumer, plus tard, la fonction de députés. Ils étaient considérés comme des bénéficiaires de récompense à cause de leurs activités en faveur de l’élection du président de la République. Apparemment, ce dernier tirait les ficelles car les conflits sur les candidatures ont pris fin après une déclaration dans laquelle, il disait : « Il n’y a pas d’école pour former les députés ».

Sur le plan de la mobilisation des militants et des votes, le Pup peinait, également. Il n’arrivait pas à gagner du terrain sur les partis de l’opposition. Les affrontements décisifs se faisaient pour la conquête de la Guinée Forestière. Cette région est apparue, depuis les présidentielles, comme une zone stratégique capable de faire balancer les votes vers la victoire.

L’observation des résultats de la présidentielle montre que les suffrages recueillis en Guinée Forestière par le Général Lansana Conté avaient eu leur pesant de poids. Alors que dans la plupart des régions il s’était partagé les scrutins avec les candidats des partis politiques de l’opposition. Les arguments utilisés lors des présidentielles vont servir à tirer le Pup des turpitudes de cette campagne électorale.

Une majorité des populations en Guinée Forestière restait, principalement, reconnaissante de la suppression des normes, sorte d’impôt de capitation en nature imposés sous la 1re République pour faciliter la collecte et la commercialisation des produits agricoles sous le monopole des entreprises et structures étatiques.

En outre, le gouvernement de la 2ème République avait réalisé des projets d’infrastructure routière en Guinée Forestière. Ils ont servi à désenclaver plusieurs préfectures. Le président de la République avait donc des atouts à abattre pour rassembler les votes nécessaires autour du Pup. Il les utilisa avec succès. Dans les autres régions de la Guinée, il cristallisa son propre capital électoral autour du parti qui a présenté sa candidature aux élections présidentielles.

Le même phénomène se produisit avec les autres partis politiques et leurs leaders au cours des campagnes. Mais, les chiffres qui résulteront des votes n’amèneront pas, exactement, le poids des partis politiques à égaliser celui de leurs leaders sur l’échiquier politique !

Les élections législatives pour la mise en place de l’Assemblée nationale de la 3ème République de Guinée ont effectivement eu lieu le 11 juin 1995. À l’opposé des présidentielles, deux années plus tôt, les urnes n’ont pas été brisées et des pneus ne furent pas brulés le long des routes. On n’a pas dénombré de morts et de blessés.

Le 13 juin 1995, la Commission internationale des juristes (Cij) publiait sous la signature de son Secrétaire général, Adama Dieng, une déclaration liminaire. Elle qualifie les élections du 11 juin de : « relativement libres, justes et transparentes sur une grande partie du territoire guinéen, grâce à la volonté des autorités administratives ainsi qu’à la maturité et au sens civique des populations ». Relevant quelques irrégularités, le Cij souligne : « Il n’y a pas eu volonté délibérée de compromettre la liberté, la sincérité ou la transparence des élections ». Enfin la Commission formule des recommandations destinées « au renforcement de la culture démocratique en Guinée qui doit être articulée autour de la tolérance politique et de la coexistence harmonieuse des ethnies qui composent la nation guinéenne ».

 Le 14 juin, le ministre de l’Intérieur et de la sécurité annonce les résultats des élections législatives. Le Pup est sorti victorieux du scrutin avec 67,68% des voix au-dessus des 50,93% recueillis par le président de la République lors de son élection. En considérant le poids électoral du chef de l’État, le Pup n’aurait apporté, pour être majoritaire à l’assemblée nationale, qu’une marge de sécurité de 16,75 % : en chiffre rond, environ 17 % qui s’ajoutent aux 51 % générés par le Général Lansana Conté lors de son élection.

L’opposition, par contre, a perdu du terrain avec 32,62 % pour l’ensemble des partis candidats en face du Pup contre les 49,07 % totalisés par cette même opposition aux présidentielles de 1993. La déperdition de 16,45% s’est donc reportée sur le Pup pour lui assurer une confortable majorité !

De la nouvelle configuration électorale des partis politiques, certaines raisons objectives prévalent. Deux nouveaux partis politiques étaient issus de division au sein des partis politiques candidats aux présidentielles. Ils avaient contribué à accroitre le nombre de partis politiques prétendant aux sièges de l’Assemblée nationale. Il en a résulté une redistribution croisée des électeurs.

Les partis politiques de l’opposition ont, plutôt, mis en avant les irrégularités et la fraude dans le déroulement des élections. Partant des expériences de l’élection présidentielle, ils ont jugé inutile de déposer des plaintes auprès de la Cour suprême. Celle-ci n’a, donc, eu à examiner que les requêtes de deux partis politiques dénonçant des irrégularités de vote et la fraude : le Pup d’El hadj Boubacar Biro Diallo et le parti Dyama de Mansour Kaba. La Cour suprême a statué pour aboutir à ses conclusions habituelles : « les irrégularités dénoncées n’ont pas eu d’incidence sur le contenu des votes et n’entrainent donc pas l’annulation des scrutins mis en cause ». Les leaders de l’opposition fustigent « le non-respect par le ministre de l’Intérieur de son engagement à organiser des élections transparentes avec une Commission électorale nationale indépendante ». Pour eux, Alsény René Gomez avait utilisé cette promesse comme paravent pour éviter le boycott des législatives par l’aile radicale de l’opposition.

Les réserves sont formulées par l’un des observateurs, l’African American Institute (Aai). L’institut estime, à propos des élections, que : « Le dépouillement est satisfaisant. Mais il y a eu dans les commissions centrales des enveloppes de PV (procès-verbaux) non scellés (...) Le convoiement des enveloppes par des sous-préfets sans les présidents de bureaux de vote (...) La faiblesse du taux de participation en plusieurs endroits », En conséquence, l’Aai déclare faire usage de son droit de réserve « ne pouvant vérifier tous les résultats au niveau de la Commission électorale nationale »[v].

Les délégués de l’Aai avaient, du 28 mai au 7 juin 1995, effectué des visites au niveau de 181 bureaux de vote à l’intérieur du pays. Dans leur rapport, ils avaient fait le constat suivant : « l’influence des administrateurs, l’insuffisance des conditions matérielles, le problème de la carte d’identité nationale, la formation insuffisante des membres de bureaux de vote, l’ignorance des deux modes de scrutin (uninominal et proportionnel) par de nombreux électeurs ».

Les déclarations issues de quelques-uns des 138 observateurs, délégués des organisations nationales, régionales et internationales, ont été interprétées selon les camps politiques. Les contestations des leaders de l’opposition acheminaient le pays vers ce qu’on peut appeler la crise anticipée de l’Assemblée nationale.

 

 

 

[i]  Entretien de feu Biram Sacko avec Me Aminata Barry –L’indépendant N°60 – 10 mars 1994, p.2

[ii]  L’indépendant N°60 – 10 mars 1994, p.3

[iii]  Conférence de presse de l’Arena au Motel du port, à Conakry – 5 décembre 1994 –L’indépendant N°60 – 10 mars 1994, p.4.

[iv] Commentaires faits par Ahmed Tidiane Cissé, après la légalisation du Mdp, le 30 mars 1995. 

[v] Extrait du Rapport de l’American African Institute – Juin 1995

 

Publié dans Politique

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