CHRONIQUE D'UNE DÉMOCRATIE ANNONCÉE-Publication intégrale

Publié le par O. Tity Faye

VI - LE POIDS DES PARTIS ET DES LEADERS POLITIQUES

En 1993, les partis politiques restaient à la même enseigne qu’en 1992, dans une position attentiste. Ils redoutaient d’organiser la moindre manifestation à cause de la loi anti-manifestations publiques. Cela agace certains leaders politiques qui comprennent bien que la conséquence est un amoindrissement de la mobilisation au niveau des militants de base. Les petits partis politiques n’étant pas dans la course pour faire une campagne électorale s’en contentent bien.

En réalité, les formations politiques, pour avoir érigé l’ethnostratégie en outil politique, en payaient le prix. Aucune ne réussit à se faire une audience nationale et une assise susceptible de faire la différence en forçant le gouvernement à desserrer son étau.

Les leaders politiques faisaient également face à des problèmes essentiels à résoudre : Le paiement de la caution pour la candidature aux élections présidentielles et les modalités de la gestion même des élections par une commission électorale. L’opposition voulait que cette commission soit indépendante. Le pouvoir la voulait dépendante de ses structures.

VI.1 - Le financement, une pierre d’achoppement pour les candidatures aux présidentielles

Les difficultés financières des partis politiques en Guinée étaient un secret de polichinelle que la rareté des activités sur le terrain révélait constamment. Avec 42 formations politiques en 1993, il était facile pour le gouvernement de rejeter aux calendes grecques leur financement direct. Il choisira l’option d’attendre les scores des élections nationales pour le remboursement d’un certain pourcentage.

Aussi, le financement des partis politiques était une eau sombre et insondable. Une tentative d’enquête a révélé la difficulté commune aux partis politiques à faire état d’une comptabilité intégrant la cotisation des militants et les donations.  À première vue, le refus de publication des statistiques des membres parut être une tactique consistant à empêcher toute évaluation de la part des autres partis politiques. Mais il était aussi notable que les activités de grande envergure sur le terrain – générant des dépenses – ont été organisées par un certain nombre d’entre eux : le Pup avec sa manne financière gouvernementale, le Rpg, le Prp, l’Unr, l’Upg, le Pdg-Rda, et plus tard le parti Dyama. L’origine des ressources de ces derniers partis politiques étaient inconnue. D’où de nombreuses spéculations à propos.

L’opinion nationale s’attendait alors à un nombre restreint de candidats aux présidentielles. C’est alors qu’en septembre, un communiqué de presse de l’ambassade d’Allemagne calme le désarroi des leaders politiques. Il annonce une subvention spéciale de 700.000 DM – l’équivalent de 400 millions Fg à cette période – pour le paiement des cautions des candidats des partis politiques aux élections présidentielles. En clair, la donation servait à réduire le montant que chaque candidat devrait payer pour sa candidature. Elle s’ajoute à la contribution globale de la République d’Allemagne pour l’organisation des élections démocratiques en Guinée.

Les paiements des cautions qui se faisaient à compte-goutte, s’accélèrent. Huit candidats émergent pour la course au Palais des Nations, abritant les bureaux du président de la République. La liste des candidats – légalisée par la Cour suprême –est publiée le 25 octobre 1993 : Pup : Lansana Conté, président de la République sortant ; Upg : Jean Marie Doré ; Prp : Siradiou Diallo ; Unr : Bâ Mamadou Boye ; Unpg : Facinet Touré ; Dyama : Mansour Kaba ; Rpg : Alpha Condé et, El hadj Ghussein pour le Pdg-Rda.

VI.2 - La Commission Électorale Nationale, une gestion inachevée

Lorsque se résolvait le problème du paiement des cautions pour les candidats aux présidentielles, les discussions sur la Commission électorale nationale se poursuivaient toujours. L’opposition –par définition et contenu– réclamait une Commission électorale nationale indépendante. En d’autres termes, une commission électorale soustraite à l’influence du pouvoir. Le président de la République considérant que l’État guinéen et le gouvernement étaient les maitres-d ‘œuvre du processus transitoire avait affirmé « qu’il ne saurait être question de commission électorale qui soit indépendante ». Le décret qui résulte de ce débat politique exacerbe le conflit. Par le contenu ce décret allouait au ministère de l’Intérieur un contrôle quasi-absolu sur le déroulement des élections. L’opposition considère que l’organe crée pour la supervision des élections est inféodé au gouvernement à travers le ministère de l’Intérieur et de la sécurité.

La réunion organisée – le 18 octobre avant la publication de la liste des candidats – sur le toilettage dudit décret contribue à élargir le fossé entre le pouvoir en place et l’opposition. Plusieurs représentants des formations politiques, jugeant que le ministre de l’Intérieur et de la sécurité s’était arrogé le monopole des propositions, avaient quitté la réunion. Ils alléguèrent du vice de procédure.

Malgré tout, Alsény René Gomez devant la presse nationale (L’indépendant, l’Évènement de Guinée) et internationale (les correspondants de RFI, Africa n°1), affirmait : la Commission électorale nationale devrait satisfaire tout le monde dans le contexte actuel. On ne saura jamais les défauts d’une voiture tant qu’on ne la conduit pas[i]. Suggérait-il une conduite à vue ?  

Pour mettre en place une commission électorale compatible, et acceptable par tous, il fallait une certaine dose de confiance entre les acteurs de la transition démocratique en Guinée. Elle n’existait pas, faute de dialogue. Pourtant, plus tard, il y a eu une tentative d’harmonisation des vues et critères. La composition de la commission électorale constituée intégrait, désormais, outre le pouvoir et l’opposition, les représentants de la société civile. Mais l’opposition récuse les personnalités choisies, par le gouvernement, au sein de la société civile. Les partis de l’opposition considèrent la plupart d’entre eux comme partisan du pouvoir en place.

Avec ces controverses, et à cause d’elles, la mise en place de la Commission électorale nationale interviendra à quinze jours des élections présidentielles !

VI.3 - Les candidats et leurs motivations

Alpha Condé : l’obligation d’être candidat. À 56 ans, Professeur, il fut l’un des pionniers de l’activation du processus démocratique en Guinée. Mais son parti était considéré comme un parti dépendant – principalement – de l’électorat de la seule région de la Haute Guinée. Il y répondait en disant : « les gens sont libres de dire ce qu’ils veulent. On verra aux élections si le Rpg est un parti véritablement national ». Alpha Condé a fait partie de la plupart des tentatives d’organisation de l’opposition : du Forum démocratique national (Fdn) au Front de lutte et de gouvernement (Flug) jusqu’à la Coordination de l’opposition démocratique (Cod). Au sein de ces alliances, il a souvent été dit que son électorat –voulant une revanche cinglante sur le Général Lansana Conté– ne lui pardonnerait pas un désistement en faveur de l’un ou l’autre de ses pairs de l’opposition. En plus de ses ambitions personnelles pour la Guinée, Alpha Condé était donc sous l’obligation d’être candidat. 

Bâ Mamadou Boye face au piège de l’âge. Revenu en Guinée comme consultant auprès du gouvernement, le leader de l’Unr selon ses propres commentaires affirme avoir « travaillé longtemps avec le gouvernement du Général Lansana Conté ». De ce dernier, il dit : « Nous ne nous sommes pas compris ». Ce qui fut pour lui la raison pour quitter les arcanes du pouvoir. Il a été – pendant les premières années – le messager des couches socioprofessionnelles bâillonnées par un quart de siècle de monopartisme et des années d’un régime militaire d’exception. Bâ Mamadou Boye a bénéficié – en ce moment – de la sympathie des fonctionnaires considérant la situation désastreuse de l’économie qu’il dénonçait, comme responsable de leur faible revenu. Avec ses 63 ans, il était le plus âgé des candidats. Alléguant de son âge avancé, le leader de l’Unr n’a fait aucune concession aux autres leaders pour être en première ligne. « Je n’ai pas le temps d’attendre un autre mandat » faisait-il remarquer. Se culpabilisant à propos de la Guinée, il affirmait : « Nous avons laissé ce pays partir à la dérive. Il est temps de faire quelque chose ». 

Siradiou Diallo : le défi.Le Prp a bâti pierre par pierre son édifice politique. Son leader, avec un soutien extérieur visible, a dû prendre la parole dans le moindre village pour son implantation en prêchant l’entente et le dialogue. L’ancien journaliste de l’hebdomadaire international Jeune Afrique (actuel Jeune Afrique l’intelligent) était un militant originel du Pgp. Il avait accumulé un capital d’antipathie pour avoir décidé de faire cavalier seul. Et, l’on associait souvent son nom à l’agression du 22 novembre 1970 contre la Guinée. Siradiou Diallo est – tout de même – devenu le chef d’un des partis majeurs du pays.

À 58 ans, le leader du Prp était déconcertant au sein de l’opposition. Face aux nombreuses fins de non-recevoir du pouvoir en place à propos du dialogue, son attitude et ses propos sont devenus plus durs. Il était prêt à utiliser toutes les stratégies pour gagner dont celle d’une coalition des partis politiques au second tour des présidentielles. Aucun candidat unique ne peut battre Lansana Conté. Il nous faut plusieurs candidatures au premier tour. Au second tour, les autres se rallieraient à celui qui a le plus de suffrage, disait-il. C’est dans une telle logique qu’il semblait s’être porté candidat à la présidence de la République.

Lansana Conté : l’ambigüité.Après avoir prohibé la politisation de l’armée, il avait donné l’impression que le rôle du Cmrn s’arrêterait au contrôle et à lasurveillance d’une transition démocratique, plusieurs fois, annoncée dans ses discours. Sous la pression ethnique, celle des membres du Cmrn et soutenu par les mouvances présidentielles, Lansana Conté avait –progressivement– changé ses ambitions premières. Il voulait désormais se succéder à lui-même à la tête de la Guinée. Sciemment, ses relations avec le parti qui présentait sa candidature avaient toujours été ambivalentes. Le 13 octobre au Palais des Nations à Conakry, le Général Lansana Conté déclarait : « Je ne suis sous l’influence d’aucun parti politique. J’appartiens à l’ensemble des partis politiques... » L’homme qui se voulait au-dessus de la mêlée avait à ses basques le Pup. Dès la légalisation des partis politiques, ses dirigeants s’étaient trouvé le label astucieux de « parti qui soutient les actions du gouvernement ».

L’approche a porté ses fruits, puisque le Pup s’est ainsi adjugé l’administration, les largesses du chef de l’État et la protection occulte du pouvoir.

Le Général Lansana Conté, 60 ans, président de la République sortant avait à sa disposition une armada électorale dont nul autre ne disposait. Il restait à voir si les populations Guinéennes lui diront oui !

El hadj Ismaïlia Mohamed Ghussein : la surprenante fidélité. Après la chute du parti unique, le Pdg, il a, courageusement, repris le flambeau. Longtemps objet de la vindicte des uns et de l’indulgence des autres, ce fonctionnaire du régime défunt, à la retraite, à 56 ans, réussit à force de ténacité à passer l’étape de l’ostracisme à la légalisation de son parti. Bien que celui-ci soit associé au souvenir, encore vivant, de la dictature passée. Ce qui n’empêche pas le leader du Pdg-Rda de déclarer que son parti « reconnait le passif de l’ancien parti unique ».  Malgré le flot de réprobations, il est parmi les candidats à la présidence de la République. Même au sein de son parti, certains estiment qu’il aurait dû laisser le parti se refaire une nouvelle toilette, en laissant le temps aux gens d’oublier. El hadj Ghussein croyait, lui, qu’il valait mieux être de la partie pour ne pas se faire oublier !

Facinet Touré : pour laver l’affront. À la retraite de l’armée et afin d’assouvir ses ambitions politiques, le lieutenant-colonel Facinet Touré fut – en soi–même – une controverse. Plus de huit années dans le gouvernement du pouvoir en place, membre du Comité militaire de redressement national (Cmrn), il expliquait son action par la requête faite par un parti politique et des militants estimant qu’il devrait continuer à servir la nation.

Choisi candidat à la présidence de la République par une alliance de partis politiques regroupés au sein de l’Aguna, le leader de la nouvelle Unpg arrive tard sur la scène politique. À des fins de mobilisation, il va à l’assaut des populations en essayant de renverser la vapeur : « Mon passage au gouvernement me donne une expérience des problèmes de la Guinée ... Je suis le seul qui puisse parler à l’armée », proclame-t-il. Beaucoup le considérait, également, responsable des impairs de cette armée.

Cependant, il affirmait avec clairvoyance que : « le mandat prochain aura une odeur de poison à cause des mesures impopulaires de redressement économique qu’il faudrait prendre ». C’est à coup sûr l’unique dénonciation verbale – implicite – que l’ex ministre fit à son corps défendant. Car cette confession signifiait que l’économie guinéenne, depuis 1984, n’était pas non plus en bonne santé. Personnellement, l’homme voulait aussi laver l’affront « d’avoir été vidé du gouvernement comme un malpropre », selon ses propres termes.

Un des opérateurs économiques, neveu du candidat aurait payé cher l’alternative de cavalcade vengeresse : Ibrahima Sory Sampil, un des barons du secteur privé de la pêche, grand partenaire des grecs et des espagnols. Il a été ruiné parce que le président de la République a cru qu’il soutenait financièrement la campagne de Facinet Touré. La société Rouguimex a été mise à genou pour que fleurissent les affaires de Harouna Conté, … frère du Général Lansana Conté.

Jean Marie Doré : la technique de la visibilité. 56 ans et provocateur ; ancien fonctionnaire du Bureau International du Travail (Bit), Jean Marie Doré a été le leader des déclarations flamboyantes et des formules toutes faites qui marquaient l’esprit des gens. Sa popularité s’est ainsi vite forgée depuis l’annonce prématurée de sa candidature aux présidentielles avant qu’il n’en soit question. Fils d’un ancien chef de canton sous la période coloniale, il faisait état de sa généalogie comme un passe-droit à l’exercice ou à la participation à l’exercice du pouvoir. « Moi je suis né dans le pouvoir. J’ai été chef de canton à 12 ans. J’ai la prétention de connaitre les sources et les ressorts de ce peuple », disait-il. Peut-être que cette attitude est un des obstacles à la conquête du sud de la Guinée, sa région natale. Avec Jean marie Doré, l’Upg est passé d’un « certain radicalisme » à une position de modéré avec le risque, accepté d’avance, d’être désavoué par ses pairs.  À ce propos, il a mis sur la table la redéfinition du concept « d’opposition ». Selon Jean Marie Doré, l’opposition guinéenne devrait reconnaître d’abord le bilan du pouvoir en place : la liberté d’aller et de venir, le pluralisme politique, une Constitution. Comme candidat, le leader de l’Upg déclarait aussi : nous continuerons, quant à nous, à réclamer le gouvernement de transition jusqu’au matin du 5 décembre. Facétie ? Après avoir accepté d’aller aux élections ? « Les élections ne constituent pas l’étape finale », anticipait Jean Marie Doré se mettant à couvert !

Mansour Kaba, pour le principe. La venue sur la scène politique du parti Dyama avait fait débat. Le Rpg avait déjà été adopté par la Haute Guinée. Mais il s’agissait de la Guinée et non d’une seule région, dit-il aux uns et aux autres. Et, Mansour Kaba avait fini par installer tant bien que mal son parti après l’avoir imposé par rapport au Pnd de son parent Lansinè Kaba. Le dynamisme de ses dirigeants a transporté le parti Dyama dans le giron de l’opposition. C’est une des raisons qui a poussé cet ingénieur en Génie civil de 53 ans, et réputé heureux en affaire, à l’ultime décision d’être parmi les candidats aux élections présidentielles.

Des partis politiques et des paradoxes ...

Certains partis politiques faisaient parler d’eux à cause de la seule personnalité du leader sans avoir d’impact réel sur le terrain. Il s’agit entre autres de l’Udr de Me Alpha Bacar Barry qui regroupait – vraisemblablement – peu de monde.

Le parti de Miriam Béavogui était du nombre. Il fut connu – sur la liste des partis politiques – pour être le seul parti ayant à sa tête une femme. Apparemment elle n’a pas eu la possibilité de susciter l’engouement des femmes constituant au moins 53% de la population guinéenne. En fait, elle n’a pas entrepris d’actions remarquables sur le terrain. 

L’autre paradoxe vient du Pdg-Rda qui a été, 26 années durant, le parti unique du pays. Tout le monde s’en méfie en se méfiant en même temps des Guinéens de la diaspora. Le Pdg a, pourtant, longuement combattu les opposants au sein de cette diaspora, les qualifiant d’anti-guinéens. Il était ironique de les retrouver dans le même panier.

L’Unpg de Facinet Touré n’était pas moins un paradoxe. Non pas parce que son leader avait été, après huit ans, débarqué du gouvernement. Mais du fait que 50% au moins de la population ne croyaient pas à la durée du nouveau leader au sein de l’opposition. Il était soupçonné de vouloir mener une revanche personnelle contre Lansana Conté dont il avait été l’un des meilleurs amis, selon ses propres dires[ii]. Ou bien de représenter une sorte de cinquième colonne chargée de déstabiliser l’opposition de l’intérieur.

Sans la verve de son leader, Jean Marie Doré, l’Upg aurait été parmi les partis politiques de moindre importance. Son implantation en Guinée Forestière restait problématique entre le Rpg et le Pup.

Ces deux formations politiques étaient conscientes du fait qu’en plus de leur supposé fief respectif, le vote de la Guinée Forestière sans parti politique fort, serait déterminant. Le Pup pour parvenir à ses fins dans cette région bénéficiait de la logistique du pouvoir en place et de la complicité de l’administration nationale. Le Rpg y avait une obole ethnique d’immigrants de la Haute Guinée parfois fortement implantés.

VI.4 – La contestation de la Candidature de Lansana Conté

Au lendemain de la publication de la liste légalisée des candidats aux présidentielles par la Cour suprême, le Prp et l’Unr déposent – respectivement – le 26 octobre 1993 une requête de contestation de la candidature de « Mr. » Lansana Conté, président de la République, candidat aux élections présidentielles du 5 décembre.  

Les deux partis politiques évoquent la violation de l’article 5 de la loi organique n° 91/14/Ctrn du 23 décembre 1994 et les articles L130 et R3 des dispositions du Code électoral. En substance, ces articles interdisent « l’éligibilité des militaires et magistrats en activité aux élections nationales ».

La requête de l’Unr est jugée irrecevable par la Cour suprême à cause de sa personnalisation sous la signature de M. Mamadou Boye Bâ avec la seule mention d’identité « Candidat à la présidence de la République ». La loi guinéenne reconnait le candidat à travers son parti politique, oppose la Cour suprême dirigée Me Lamine Sidimé. Seule la requête du Prp signée de son secrétaire politique, Kerfalla Bangoura, fut jugée recevable.

Après délibération, la Chambre constitutionnelle et administrative (Cca) de la Cour suprême, en son édit n° 04/Cca du 28 octobre 1993 arrête : les articles 5 de la loi organique n° 91 et L130, R3 du code électoral sont applicables aux cas des députés pour les élections à l’Assemblée nationale. Donc, elle considère inopérante les deux requêtes qui se fondent sur la règle de ce qui peut le moins ne peut le plus ».

En outre, souligne la Cour suprême, le Général Lansana Conté, par le décret n° 197/PRG/ du 11 octobre 1993, avait bénéficié d’une mise en disponibilité spéciale. Ce décret étant antérieur à sa candidature, déposée le 12 octobre et légalisé le 25 octobre, l’autorise à être candidat à la présidence de la République[iii].

Mieux, la Cour suprême atteste que le lieu d’habitation de Mr. Lansana Conté, au camp Samory, ne lui conserve pas sa qualité de militaire ; encore moins ses déclarations publiques, selon lesquelles : « Tout militaire voulant faire de la politique doit quitter la tenue militaire ». La loi, selon la Cour suprême, n’avait pas de provision à cet égard. « On ne peut déterminer s’il les a faites au titre de Général d’armée ou de président de la République », avait conclu le président de la Cour suprême, Me Lamine Sidimé. Jurisprudence ? À coup sûr !

Nul n’ignorait que les déclarations faites par le Général Lansana Conté  avaient fait croire à la nation guinéenne que l’armée ne serait pas candidate aux élections à travers un de ses éléments ou représentants.  Pour la gestion future du pays, cette question reste floue. On se demandait – en 1993 – à quel titre il conduira le mandat s’il est élu. Au fil du temps, il est devenu apparent que sa disponibilité spéciale n’était qu’une astuce politicienne ; un leurre ! Il restera toujours le Général de brigade, président de la République, chef du gouvernement et de l’armée.

VI.5 - Le Conseil National de la Communication 

L’un des débats, parmi les plus virulents de cette transition démocratique, a été celui relatif aux modalités d’accès des partis politiques aux média nationaux. Avec un taux d’alphabétisation d’environ 29% entre 1985 et 1992, atteindre la majorité des populations ne pouvait se faire directement – et seulement – par voie de presse écrite. La radio et la télévision se prêtaient mieux aux explications dans les langues nationales[iv].

La presse écrite avait été la seule à se doter d’un secteur privé qui évoluait. Les titres s’étaient multipliés rapidement à partir de 1992. Parmi les premiers titres à publication hebdomadaire régulière, il y avait L’indépendant, L’Évènement de Guinée ; le satirique le Lynx. Ils avaient un tirage allant de 2000 à 5000 exemplaires par semaine. Horoya, le quotidien gouvernemental tirait entre 1000 et 3000 exemplaires par jour avec l’avantage du monopole des abonnements avec les missions diplomatiques et l’administration gouvernementale.

Sous l’impulsion de la presse privée la communication et l’information ont connu un certain essor. Des bulletins d’information se multiplièrent au niveau des entreprises et institutions publiques, parapubliques et privées. Bien que confrontée à un gros problème de distribution à l’intérieur du pays faute de messageries spécialisées, la presse privée écrite restait le seul moyen d’expression des leaders politiques.

Au fil du temps, L’indépendant et le Lynx se transformant chacun en un groupe de presse, réussissent à créer des réseaux de distribution personnalisés vers l’extérieur.

Sans soutien, les problèmes financiers, techniques et d’impression constituaient toujours des handicaps à la publication régulière de plusieurs titres. Du point de vue structurel, les journaux privés guinéens souffraient de la gestion personnalisée de l’investisseur unique. Pourtant la Loi de presse accordait une participation étrangère à hauteur de 30% du capital.

Le développement rédactionnel des journaux privés avait eu pour conséquence immédiate l’éclipse progressive des journaux partisans, épisodiques, comme La Nouvelle République de l’Unr, Malanyi du Rpg, Le progrès du Prp paraissant presqu’en même temps que les journaux de la presse privée. Il y eut quelques autres titres de moindre importance. Caractérisés par l’irrégularité de parution et la publication à l’évènement, ils disparurent progressivement.

N’ayant pas les mêmes problèmes, la radio et la télévision, sous monopole de l’État couvraient – avec leurs diffusions cumulées – une grande partie du territoire national (environ 40% à 60%). La facilité d’accès collective des ménages à un transistor ou un poste de téléviseur augmentait l’audience réelle. L’audiovisuel permettait l’utilisation des langues nationales et vernaculaires pour une communication plus efficace. Malheureusement le gouvernement – partant également de ce calcul – n’avait pas autorisé la création de radios et télévisions privées.

Le pouvoir en place disposait donc de l’audiovisuel national avec la Radiotélévision Guinéenne (Rtg) et quatre stations de radios rurales. Ces dernières avaient été installées – grâce aux financements patronnés de l’Unesco – comme radio pour le développement dans les quatre régions géopolitiques : Basse Guinée, Haute Guinée, Moyenne Guinée et Guinée Forestière.

Il a fallu attendre l’installation du Conseil national de la communication (Cnc) pour qu’un processus d’accès ponctuel des partis politiques soit mis en œuvre. C’est après la nomination de son premier président, Émile Tompapa, et la désignation de ses membres que l’utilisation de l’audiovisuel national par les formations politiques sera autorisée durant les périodes électorales.

Malgré les revendications et dénonciations à répétition le gouvernement avait fait la sourde oreille, contraignant les leaders politiques à recourir aux radios et télévisions internationales. Ces dernières avaient peu d’impacts directs sur les populations à l’intérieur du pays du fait des barrières linguistiques.

En fin octobre 1993, le Cnc organise au palais du Peuple une audience publique pour exposer les grandes lignes de la répartition du temps d’antenne et des horaires d’intervention entre les candidats à l’élection présidentielle. L’émission est appelée « intervention directe des partis politiques ». Douze articles en fixent les termes et le code de bonne conduite.

Du 4 novembre au 3 décembre 1993 à minuit, chaque candidat avait droit à 7 minutes d’antenne par jour. La diffusion des interventions était prévue en « prime time » du 20 heures 30 sur le réseau synchronisé de la Rtg et des radios rurales. Cependant – avant toute diffusion – les enregistrements devraient être soumis au contrôle du Cnc. L’institution devrait veiller à ce que le contenu soit conforme aux « normes de bienséance et de préservation de la paix sociale ».

L’article 8 spécifie et exige « l’impartialité des média d’État ». Il leur est interdit toute émission à caractère politique durant la campagne électorale. Les émissions éducatives et d’information dans les langues nationales sont suspendues. Le Cnc interdit les commentaires de journalistes à propos des déclarations et activités des candidats sur les stations audiovisuelles nationales.

Dans les équipes multimédia, seuls les journalistes des organes gouvernementaux d’information, l’Agence guinéenne de presse (Agp) et le quotidien national Horoya, sont sélectionnés au niveau de la presse écrite nationale. Ils ont pour tâche de diffuser les profils et le programme des candidats. Ces publications du gouvernement devraient couvrir également leurs meetings et manifestations.

Il est spécifié que durant la période de campagne électorale, la couverture par les médias nationaux de l’État des activités occasionnelles des membres du gouvernement est interdite de jure. Les journalistes de l’État étaient, par contre autorisés à organiser des émissions de débats contradictoires. Il n’y en a pas eu ; le pouvoir en place estimant que cela ouvrait la voie à une conférence nationale déguisée, en format réduit ! En clair, les interrogations auraient pu ouvrir la voie à une évaluation publique des actions gouvernementales ; notamment celles du président de la République.

Chaque candidat a été ainsi doté d’une équipe multimédia, dirigée par un journaliste. À cette période, la presse privée écrite était, subjectivement, considérée par le gouvernement – à tort – comme partisan de l’opposition. Alors que cette dernière croyait le contraire. C’est que cette presse privée a été, depuis sa légalisation, le chantre inaliénable du multipartisme et de l’application des principes de Démocratie en Guinée. Les dénonciations et critiques de cette presse n’étaient alors du goût ni du pouvoir en place ni de l’opposition.

Pour ces raisons, les journalistes et éditeurs de la presse privée écrite nationale ont fait l’objet de tracasseries policières, d’arrestations et d’emprisonnements. Des motifs divers et fallacieux servaient aux tenants du pouvoir pour fermer une rédaction à cause de la publication d’un dossier gênant, d’une enquête sur un scandale financier ou du développement d’une analyse dérangeante. Le nombre de journalistes ayant choisi l’exil s’est accru entre 1992 et 2000.

En résumé, le procès qui précède explique l’attitude du pouvoir vis-à-vis de la presse privée nationale lors des élections présidentielles. Il est à noter à la décharge du Cnc de n’avoir été qu’un organe consultatif du gouvernement. En 1993, outre la délivrance de la carte de journaliste, sa principale tâche était de soumettre un rapport annuel au président de la République.

Le soutien financier permettant à la presse privée écrite de participer, à travers le pays, à la campagne électorale des présidentielles de 1993 est venu de l’ambassade du Canada en Guinée. Reconnaissant la nécessité du témoignage de la presse écrite privée nationale dans ce processus de transition démocratique, l’ambassadeur du Canada a offert une subvention financière spéciale. À bon escient.

Ce fut la presse privée qui – au cours de cette campagne et des élections – contribua à la résolution de nombreux conflits opposants les directeurs de campagne aux équipes multimédia gouvernementaux. Le Canada, à travers son ambassade en Guinée, a poursuivi son soutien au développement de la presse privée nationale guinéenne sous des formes variées dont la formation.



[i] Interview accordée par le ministre de l’Intérieur et de la sécurité - 28 octobre 1993

L’indépendant N 41- p.2

[ii] Facinet Touré reviendra au service de son ami, le Général Lansana Conté, en 1996, comme Secrétaire général de la chancellerie.

[iii] Délibération de la Chambre constitutionnelle et administrative, publiée le 28 octobre 1993, lue à la Radiotélévision guinéenne par le premier président de la Cour Suprême, Me Lamine Sidimé.

[iv] Huit langues nationales sont reconnues en Guinée dans lesquelles des émissions d’appoint radiotélévisées sont réalisées : maninka, soussou, pular (des ethnies majoritaires respectivement en Haute Guinée, Basse Guinée et Moyenne Guinée) Kissi, Guerzé, Toma, Koniagui, Kpèlè (des ethnies minoritaires du sud de la Guinée, la Guinée Forestière).

 

Publié dans Politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article