CHRONIQUE D’UNE DÉMOCRATIE ANNONCÉE : LES PROLONGATIONS – suite 6

Publié le par O. Tity Faye

La politique, un secteur d'investissement porteur en Guinée

Le président Ahmed Sékou Touré est réputé avoir assujetti les intellectuels guinéens pour être le seul penseur et éditeur de son temps en Guinée. Il y avait une raison à cela. Il voulait formater une idéologie politique pour embrigader une nation entière dans un seul parti politique.

Contrairement à son prédécesseur, le Général Lansana Conté à failli monopoliser sous la couleur du libéralisme l'investissement privé. Il ne faut pas exagérer tout de même. Il a été président de la Chambre d'agriculture de Guinée et était le seul producteur et commerçant de riz au pays. Les membres de sa famille se sont adjugé plusieurs secteurs d'affaire touchant aux ressources naturelles du pays. Son frère Harouna Conté a fait main basse, au détriment de l'État, sur le secteur halieutique en éliminant toute concurrence privée.

Les commerçants privés dépendaient des prêts bancaires couverts par l'État guinéen. C'est en corrompant les fonctionnaires de l'administration nationale qu'ils bénéficiaient de délai de paiement prolongé. Une sorte de dimes commerciale. L'Économie nationale étant ainsi dans l'antichambre du pouvoir, il ne reste aux hauts cadres enrichis, illicitement, que la sphère politique.

En dehors des affaires administratives, ils ne savent simplement pas comment investir, créer de l'emploi, concurrencer l'État, en apportant leurs pierres à l'édifice économique national. D'où les 118 partis politiques qui occupent, en 2010, la scène et les coulisses de l'arène politique en Guinée. C'est depuis 1992, une tradition qui commence avec 36 partis politiques. Au fil des gouvernements et des remaniements administratifs qui mettent à l'écart des fonctionnaires et hauts fonctionnaires dont des ministres et Premiers ministres, le taux de croissance en partis politiques va crescendo. On investi dans le secteur politique mais aussi ethnopolitique.

Mars-Aout 2009- L'escalade politique. En mars 2010, on note plus près de 118 partis politiques en Guinée. Le nombre atteint 120 en quelques mois. On note une ruée des anciens hauts fonctionnaires issus des gouvernements et de l'administration du Général Lansana Conté sur la scène politique : Les anciens premiers ministres, Celloun Dalein Diallo, à l'Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg), Lansana Kouyaté, avec le Parti de l'Espoir et du Développement National (Pedn), et François Lounsény Fall, du Front Uni pour la démocratie et le changement (Fudec) y retrouvent Sidya Touré, dirigeant l'Union des forces républicaines (Ufr) depuis 1999, etc. Des anciens ministres s'y croisent également dont Kassory Fofana, du Parti et de l'alliance Guinée Pour Tous (Gpt), Aboubacar Sylla, de l'Union des Forces du Changement (Ufc). Plusieurs hauts cadres militent ouvertement, se retrouvent dans les bureaux exécutifs et l'État major des partis politiques. Une nouvelle ferveur démocratique se développe en Guinée. Elle a un nom, « l'affairisme politique ». Chacun veut jouer de son poids pour avoir une part dans la gestion. Nul ne veut risquer la part de détournement de fonds public dans des investissements qu'ils ont contribué à rendre aléatoire en Guinée. Soit.

Pendant que les partis politiques se multipliaient, le capitaine Dadis Camara obstruait de plus en plus les voies de passage vers les élections nationales prévues. Parallèlement les emprisonnements touchent les fils du Général Lansana Conté, des chefs de la sécurité nationale dans l'armée et la police nationales. Ils accusés d'avoir trempé dans le trafic de stupéfiant ou d'avoir tenté un coup de force contre la junte.

Mais, peu à peu, l'affaire du narcotrafique s'enfonce dans l'ombre. Les audits restent inachevés. La révision constitutionnelle et la mise en place des institutions de la transition dont le Conseil national de transition (Cnt) et la Commission nationale électorale indépendante (Ceni), sont renvoyées sine die. Dans la sous-région, on dénonce le soutien du président sénégalais, Abdoulaye Wade, légalement élu. Effet de l'âge ? Nul ne comprend ses motivations. On parle d'affairisme.

Le capitaine Dadis Camara s'engage dans un autre combat. Celui de se faire élire comme président de la République de Guinée. Ses agissements et ceux de son entourage immédiats font planer le doute sur sa promesse de quitter le pouvoir. D'autant plus que son ami et protégé, le premier à être nommé par ordonnance, Le ministre de la décentralisation, Aboubacar Barry, crée un parti politique, …. Le doute fait place à la certitude. Des Comités de soutien sont lancés sur le terrain. Tout se confirme. Malgré sa promesse et celle du Cndd, le capitaine Dadis a l'intention de se présenter aux élections à venir.

Les syndicats, la société civile et les partis politiques se regroupent au sein des Forces vives de la nation pour opposer un front de refus. Les négociations semblent mettre fin aux contradictions avec l'accord de Bruxelles sous les auspices du Groupe international de contact sur la Guinée, courant mars 2009. Il débouche sur une feuille de route sous forme de chronogramme : l'organisation des élections législatives le 11 octobre 2009 et celles des présidentielles les 13 et 27 décembre 2009 prévoyant deux tours. L'on se promet une transition consensuelle et apaisée.

L'impopulaire popularité – Nonobstant, les Hommes du capitaine Dadis Camara se mettent en campagne avant la lettre. Les manifestations des comités de soutien, crées de toute pièce, sont financés. Il faut faire croire à l'opinion internationale que les populations guinéennes souhaitent et demandent la candidature du chef de la junte. Celui-ci organise, de son coté, des visites à l'intérieur du pays et des meetings au cours desquels nait un slogan prémonitoire pour les accords, ses promesses et sa propre personne : « Dadis ou la mort ». La paternité, dit-on, revient au Commandant Moussa Kéita, secrétaire permanent du Cndd.

Les fonds acquis au cours des audits sont distribués à travers le pays, surtout en Guinée Forestière où les mouvements revêtent un caractère d'autodéfense régionaliste et ethnique. Cela transparait sur les sites Internet où la plupart des supporteurs sont, majoritairement, du sud de la Guinée. C'est que l'on a fait croire aux ressortissants de cette région que le rejet du régime militaire correspondait à un rejet de l'ethnie et de la région du chef de la junte. Un moyen comme un autre de s'assurer des fidélités. L'ethnostratégie.

En même temps, le capitaine Dadis s'en prend de plus en plus, agressivement, aux ambassadeurs accrédités en Guinée. Chaque fois que l'un d'entre eux, tente de le convaincre de mettre en pratique les accords de Bruxelles. Outre l'ambassadeur d'Allemagne, le cas qui fit le plus de bruit est celui du diplomate français qui fut, à la longue, remplacé.

Le chef de la junte ne se gênera pas de dire au ministre des Affaires étrangères de la France, Bernard Kouchner, qu'il n'a pas de leçon à recevoir de la France. « La Guinée n'est pas une sous-préfecture de la France » avait-il clamé sur le ton du poème militant. L'idéologie révolutionnaire de la lutte contre le néocolonialisme et l'impérialisme, autrefois apanage du parti unique, le Pdg, voué aux gémonies, réapparait. Des épitaphes dithyrambiques comme « L'Homme du 23 décembre » sont utilisés pour le qualifier par analogie avec « L'Homme du 28 septembre ». Une autre prémonition fatidique. Elle prévoit une sortie malheureuse. On usurpe pas le mérite.

À l'intérieur du pays, l'arrogance du chef de la junte militaire n'épargne pas les leadeurs des partis politiques, interdits de manifestations publiques. Ils deviennent ses principales cibles. Les anciens Premiers ministres, chefs de partis politiques sont menacés d'audits. Il n'est plus question de jouer les rédempteurs. L'absence de résultats dans les actions de caractère populaire entreprise, fait perdre au Cndd et à son président le crédit populaire des premiers mois. Ils ne prennent pas conscience du déclin amorcé.

Publié dans Documents

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article