CHRONIQUE D'UNE DÉMOCRATIE ANNONCÉE - publication intégrale

Publié le par O. Tity Faye

III - LES ALLIANCES POLITIQUES ET LES PREMIÈRES ÉLECTIONS 

En 1992, la crise sociale se maintient dans sa lancée avec notamment les déflatés de la fonction publique. Ces derniers continuent à organiser leurs marches de revendication en lançant des slogans hostiles au pouvoir. Parallèlement, les pressions des étudiants diplômés sans emploi et celle des étudiants se poursuivent.

Après plusieurs mois d’attente d’une concertation qui ne se profile pas, certains partis de l’opposition tels que le Rpg, l’Unr, le Prp, le Pdg-Rda, l’Udg, tentent de récupérer par des manifestations, le ras de bol des populations touchées par la cascade de violence due à l’insécurité. Aussitôt, le pouvoir les accuse d’avoir des velléités de déstabilisation. À ces manifestations, il oppose les arrestations de militants et la répression. Les ardeurs se calment au sein de l’opposition.

Pendant ce temps, l’opinion publique reste dans l’incompréhension qu’un pouvoir militaire ait été incapable d’assurer la sécurité. Celui-ci oriente les suspicions sur des réfugiés venus du Libéria voisin –en guerre civile– en argüant que l’utilisation des armes à feu lors des vols et des assassinats était inhabituelle dans les mœurs du banditisme en Guinée. À l’époque, le Général Joseph Momo, président de la Sierra Leone, était exilé en Guinée suite à un coup de force dans son pays. Dans cet État frontalier couvait, également un foyer de tension.

Il est certain que les influences – autant que les implications – du pouvoir guinéen lors de ces crises ont eu des répercussions sur la sécurité en Guinée. Le gouvernement accuse, alors, ces pays voisins de velléités de déstabilisation !

III.1 - L’avant-garde des alliances : le Forum démocratique national

Lorsque l’opposition réagit, c’est dans le creuset du Forum démocratique national (Fdn). Toutefois, les contradictions entre la trentaine de partis politiques qui en sont membres, rendent impossible la constitution d’une plateforme de revendications communes. Siradiou Diallo, leader du Prp, adoptait une stratégie plus modérée par rapport aux exigences des autres partis. Ses déclarations étaient déjà jugées ambigües par ses pairs. Le 15 mai, le communiqué que son parti publie entraine son exclusion du Fdn.

Signé de son secrétaire politique, Kerfalla Bangoura, le communiqué déclarait à propos de la conférence nationale que : le PRP réaffirme sa détermination à œuvrer pour la tenue d’une conférence de concertation et la constitution d’un gouvernement d’union nationale.

De la Conférence nationale souveraine à la conférence de concertation, la différence était sensible sur la nature et l’orientation du dialogue envisagé ! C’était un changement de taille compte tenu de la dimension du leader politique au sein de l’opposition. La stratégie des alliances au sein de l’opposition est, alors, perturbée. Toutefois, le pouvoir en place n’engage aucune action de négociation avec le Prp ou son leader. Par contre une action de déstabilisation est engagée contre Siradiou Diallo.

D’anciens dossiers d’Afrique-Asie19 sont mis en circulation et repris par les journaux nationaux. Le leader du Prp y est accusé d’avoir participé, sous la direction du mercenaire Bob Denard, au coup de force manqué contre le régime du Bénin en 1977. Un autre témoignage fait état de sa participation à l’agression du 22 novembre 1970, contre le régime de Sékou Touré en Guinée. Son image de marque et sa notoriété auprès des populations chancèlent.

Vrai ou faux, le leader du Prp a toujours eu, suspendu telle l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête ces sombres dossiers ! Malgré ses dénégations et ses explications, ils réapparaissaient chaque fois à des moments cruciaux de mésententes qu’il a au sein de l’opposition ou de confrontation directe avec le pouvoir en place.

Il faut aussi avoir à l’esprit que Siradiou Diallo s’était probablement fait des ennemis à partir de la dissidence lors de la constitution du Pgp. L’ancien journaliste et actionnaire de Jeune Afrique –aujourd’hui Jeune Afrique l’intelligent– affirmait à ce propos : « Il m’a été dit que je ne pouvais venir de l’extérieur et prétendre au poste de Secrétaire général … Et cela après qu’un vote des commissions m’ait plébiscité. »20 À la suite, sont nés aussi bien son parti le Prp que le Rnp du Dr Aliou 5, et l’Udg de Me Alpha Bacar Barry.

Le Forum démocratique national va avoir un alter égo au courant de ce mois de mai 1992 : l’Alliance nationale des forces démocratiques (Anfd). Sa réunion constitutive se tient à l’hôtel Mariardor, à Conakry. La nouvelle alliance se compose d’une dizaine de partis politiques dont des partis politiques membres du Fdn. Elle se distingue du Forum, selon sa déclaration, par la volonté de dialogue pacifique et le refus de la remise en cause du gouvernement de la 2ème République. L’Anfd exclut toute idée de Conférence nationale souveraine. Les partis politiques qui en sont membres sont conséquemment considérés par l’opposition radicale comme des partis satellites du pouvoir.

L’un des nombreux paradoxes de cette transition se situe là : les deux alliances regroupant les partis de l’opposition affrontent en rang dispersé le parti qui soutient les actions du gouvernement, le Pup, et le pouvoir en place. Ce dernier va s’empresser de contrer l’impact potentiel de ces alliances. En leur refusant toute légalité, il allègue que « la Charte des partis politiques et la Loi fondamentale ne reconnaissent que le parti politique dans son unicité »21.

Cette attitude du gouvernement contribue à l’affaiblissement du poids d’ensemble des partis politiques. En effet, bousculé par les revendications de l’opposition, le pouvoir avait accepté la légalisation de quarante partis politiques sans critères d’évaluation. Au fil du temps, 80% d’entre eux se caractérisent par :

- la concentration de leur électorat dans certaines grandes villes ; notamment la capitale, Conakry.

- le manque de moyens financiers et matériels avec pour corolaire l’incapacité à organiser des manifestations politiques : meeting, formation politique des militants, etc.

Quelques partis politiques financièrement nantis occupent le terrain – souvent – sur des bases régionaliste et ethnocentrique.

III.2 - L’implantation géographique des partis politiques et le phénomène des fiefs

Malgré l’existence des alliances, les partis politiques évoluent individuellement sur le terrain pour l’implantation des structures de base. La nouvelle stratégie d’ensemble consiste à promouvoir l’image de marque du leadeur. Quelques partis politiques y réussissent. Pourtant, leur implantation à l’échelle du territoire national restera toujours imprécise

Le Pup soutenu par les structures administratives et le gouvernement avait ses tentacules un peu partout avec une relative domination en Basse Guinée. Cette région abrite la capitale –Conakry– où chaque parti politique avait son siège ou un bureau de représentation.

L’implantation du Rpg sur le territoire national a commencé très tôt en 1990, avec le Mouvement national démocratique (Mnd) du Pr. Alpha Condé. Cela explique l’avancée de ce parti et pourquoi le pouvoir le redoutait. L’allégeance de la Haute Guinée lui semble acquise. Le Rpg a su récupérer le schisme intervenu entre cette région de la Guinée et le pouvoir en place. Représentant au moins 25% de la population guinéenne, la Haute Guinée n’a pas pardonné au président de la République d’avoir soutenu la vendetta contre l’ethnie maninka, à la suite du coup de force manqué du Colonel Diarra Traoré.

Cela explique également pourquoi, avant la légalisation des partis politiques, Alpha Condé avait failli être arrêté pour cause de manifestation illégale22. Il dut son salut aux négociations de l’ambassade du Sénégal où il avait trouvé refuge.

Bâ Mamadou Boye est dans le sillage d’Alpha Condé depuis 1990 avec ses publications et tracts critiques à l’égard du chef de l’État et de son gouvernement. Ce passé d’activiste a facilité l’implantation de l’Unr dans certaines préfectures de la Moyenne Guinée mais aussi dans les communautés peulhes installées dans les autres régions du pays.

Siradiou Diallo était déjà célèbre comme journaliste de Jeune Afrique et du fait de ses péripéties au sein de l’opposition à l’époque du parti unique en Guinée. Il installera son parti à la force du poignet se partageant des préfectures en Moyenne Guinée avec l’Unr et des ilots de communautés peulhes sur le territoire national.

L’Upg –comme le Prp– est arrivée tardivement sur le terrain politique. Il a fallu régler une question de leadeurship et de préséance entre le président et le Secrétaire général du parti. Après l’organisation d’une Assemblée générale qui élimina le poste de président, Jean Marie Doré comme Secrétaire général compense son retard sur le terrain de la notoriété. Il est le premier leader à annoncer sa candidature pour les élections présidentielles, avant la lettre. Il avait quelques influences dans sa région natale, la Guinée Forestière, sans toutefois réussir à la conquérir

Le Pdg faisait sien le passif de l’ex parti unique sous la première République. Il est torpillé par le passé autant que par le présent avec l’Association des Enfants des victimes du camp Boiro.

Le camp Boiro est la célèbre geôle du temps de la Révolution guinéenne où des opposants étaient emprisonnés. Cette association a proclamé à l’encontre du Pdg et de ses apologètes le slogan Plus jamais ça. Ce qui voulait dire qu’elle avait pour objectif de lutter contre la restauration du régime totalitaire que ce parti représentait aux yeux de ses membres. L’organisation afficha une réelle volonté de bouter hors du paysage politique guinéen le Pdg, avec cet axiome de combat : « oublier mais faire en sorte que les horreurs commises au camp Boiro sous la première République ne recommencent plus jamais. ». L’Association des enfants des victimes du camp Boiro fit planer sur le Pdg, le long de cette année, la menace d’un procès.

Le Pgp, l’Udg et l’Unp organisaient des meetings sans transcender dans les préfectures du pays.

Le parti Djama de Mansour Kaba, riche homme d’affaire, s’est longuement débattu dans ses propres divisions. Il en avait résulté le Parti national démocrate (Pnd) avec Lancinè Kaba, professeur d’histoire dans une université Américaine. À Conakry une trentaine d’autres partis politiques sans moyens financiers et dénués d’assises électorales, organisent des réunions entre leadeurs politiques en attendant d’être pris au sérieux par leurs pairs.

Sur le plan géopolitique, l’implantation des partis politiques ne s’affirme guère ; même si chacun des leadeurs tente de faire croire à l’existence d’un fief politique. En réalité le caractère ethnique de ces fiefs est plus manifeste.

Le Rpg d’Alpha Condé semblait être le maitre en Haute Guinée. Le Prp, l’Unr, le Pgp paraissaient se partager la Moyenne Guinée et possédaient des cellules mineures dans le reste du pays. Malgré la popularité de son leadeur, l’Upg de Jean Marie Doré, n’était pas arrivé à faire main basse sur la Guinée Forestière.

Une réalité s’observait en Basse Guinée : le Pup se partageait le terrain avec tous les partis politiques. Il possédait en même temps comme avantage l’utilisation de l’administration nationale pour favoriser les adhésions et s’implanter partout dans le pays.

III.3 – La perspective des élections législatives

Parallèlement au processus d’implantation des partis politiques, le gouvernement commence les préparatifs pour les élections législatives. Le ministre de l’Intérieur et de la sécurité, Alsény René Gomez, convoque les représentants des partis politiques le 20 mai 1992. L’ordre du jour de la réunion : le recensement national et la préparation des listes électorales. D’entrée de jeu, ils s’achoppent sur la nature du recensement : le recensement a-t-il un caractère politique ou administratif ? Ce fut la question centrale. À cette première rencontre consultative avec un représentant du gouvernement, les leadeurs politiques tentent de mettre en avant leurs revendications politiques. Vainement !

Évoquant leurs calendriers politiques respectifs, ils tentent, également, de changer la date du 25 mai fixée pour le début du recensement. Le ministre de l’Intérieur et de la sécurité se rebiffe et déclare à la clôture des débats : « La réunion n’est pas politique mais concerne l’organisation rationnelle des élections prévues. La date du recensement sera maintenue. »

Un certain nombre de participants des partis politiques a alors préféré quitter la réunion. Ils mettent ainsi un terme à la participation de leurs formations politiques. L’échec de cette rencontre conforte le constat chez les radicaux de l’opposition que la concertation avec le pouvoir en place resterait toujours une vue de l’esprit.

À ce moment se tenait à Dakar, du 25 au 29 mai 1992, le sommet sur les problèmes liés à la transition démocratique en Afrique23. Huit partis politiques guinéens s’y rendent. Ils en profiteront pour informer l’opinion internationale « des obstacles qui empêchent la concertation entre le pouvoir et l’opposition. »24.

La délégation du Comité transitoire de redressement national (Ctrn), l’organe para-administratif et para-législatif mis en place par le pouvoir guinéen, avait défendu la position du gouvernement, en disant : « La priorité, c’est la mise en œuvre des institutions démocratiques en Guinée. »25

Pendant ce temps, le président Lansana Conté donnait une longueur d’avance au Pup. Ses moindres déplacements se transformaient en manifestations politiques du parti.

Publié dans Politique

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