CHRONIQUE D’UNE DÉMOCRATIE ANNONCÉE – publication intégrale.

Publié le par O. Tity Faye

III - LES ALLIANCES POLITIQUES ET LES PREMIÈRES ÉLECTIONS – suite.

III.3.1 - De nouvelles impulsions politiciennes

Deux évènements vont contribuer à rompre la chaîne invisible attachant à un même pieu les partis politiques et les secouer de leur léthargie :

1° - en juin 1992, le retour du leader du Rpg, le Pr. Alpha Condé, donne lieu à une puissante mobilisation. De l’aéroport de Conakry-Gbessia à sa résidence de Madina, sur plus de 15 km, s’étale une marée humaine pour l’acclamer ou le voir.

Il est vrai qu’à cette première apparition populaire depuis l’affaire du meeting de Coléah, beaucoup de curieux et des militants de partis politiques solidaires se sont ajoutés au nombre. Malhabilement, le Pup a contribué à grossir les rangs en envoyant des casseurs de manifestations. Après des attaques vite refoulées, ils s’en tiendront à quelques slogans hostiles.

Interdit de manifestations et de meetings, les autres leadeurs politiques adoptent la méthode et organisent des départs et arrivées pour avoir une réception leur permettant d’être en contact avec leurs militants de base. Ce fut une trouée importante à la loi anti-casse et aux règlementations restreignant les partis politiques au silence et à l’immobilisme.

Même le Pup fait chorus et organise une réception de grande envergure pour le retour du Général Lansana Conté du sommet sur l’environnement, tenu à Rio de Janeiro, au Brésil26.

2° - Les conséquences qui découlent du limogeage du lieutenant-colonel Facinet Touré du gouvernement lors du dernier remaniement ministériel de 1992. Après huit (8) années au gouvernement, les péripéties de sa venue dans l’opposition ont constitué une brèche importante dans le bouclier protecteur du pouvoir.

Connu pour avoir lu à la radio la déclaration de prise du pouvoir par l’Armée, en 1984, Facinet Touré a été membre du Comité militaire de redressement national (Cmrn) et ministre des Affaires étrangères. Ensuite, il a occupé, successivement, les postes de ministre résident en Guinée Forestière et de ministre des Travaux publics.

Le pouvoir s’effraie des révélations qu’il pourrait faire après une telle durée au gouvernement. Les sympathies aussi bien dans l’administration nationale qu’au sein des populations, pouvaient lui constituer un atout politique majeur. Le président Lansana Conté décide donc, de régler son cas en l’affectant dans la force d’interposition Ouest africaine –appelée Ecomog27 en anglais– au Libéria. Avant la publication du décret d’affectation, le lieutenant-colonel Facinet Touré démissionne de l’armée en demandant sa retraite, après 37 ans de service militaire. Les négociations pour le retenir sont infructueuses. Le président de la République ne lui offrait pas de revenir au gouvernement !

Dans la tourmente, le pouvoir annonce par décret, le 8 août, l’organisation des élections législatives le 27 décembre 1992. Ce décret est publié en même temps que le décret de mise à la retraite du Lieutenant-colonel Facinet Touré. Il sera le leadeur de l’Union nationale pour la prospérité (Unp) qui deviendra l’Union nationale pour la prospérité de Guinée (Unpg).

Il commente à ce propos : « J’ai été vidé du gouvernement comme un malpropre … On (Unp puis Unpg) est allé me chercher dans ma plantation, parce que le peuple de Guinée a encore besoin de moi28. » Il aimait conclure avec une allusion au chef de l’État : « Je ne suis pas le seul militaire à faire de la politique ».

L’Unp originelle reprochait à son Secrétaire général, Paul Louis Faber, d’avoir négligé le fonctionnement du parti au profit de ses activités d’avocat. Sur la base de preuves consignées dans des procès-verbaux, le bureau exécutif du parti a réussi à convaincre le ministère de l’Intérieur d’avaliser son limogeage démocratique. Celui-ci a été entériné par le congrès de l’Unp, tenu du 10 au 11 octobre 1991. Paul Louis Faber reste avec le patronyme de l’Unp tandis que le corps de l’ancien parti devient l’Unpg.

Le choix d’aller dans l’opposition fait par l’ancien ministre de la 2ème République est diversement interprété. Il est, lui-même, l’objet de différentes attentes. Pour l’opposition, il représente d’abord la défection au sein de l’équipe au pouvoir. L’on s’attend à des révélations de nature à handicaper ce dernier. Elles ne viendront pas.

Dans l’intelligentsia politiquement engagée, le nouveau leadeur représentera – un moment – le symbole de la fin de l’ethnostratégie politique. Il est – potentiellement – considéré comme l’homme du consensus. Soussou, natif de la préfecture de Forécariah, à 160 km de la capitale, sa mère appartient à l’ethnie peulhe de la Moyenne Guinée.

Il a l’avantage de connaitre parfaitement les principales langues et les traditions aussi bien soussou en Basse Guinée, maninka en Haute Guinée, peulhe en Moyenne Guinée. Avoir été ministre de la région forestière, au sud du pays constituait aussi un certain avantage.

Avant le 3 avril 1984 et la prise du pouvoir par l’Armée, Facinet Touré avait séjourné dans la prison du camp Boiro. Après cette sanction pénitentiaire, il a servi principalement dans les universités comme officier-major. Ce qui le rapproche autant des milieux intellectuels universitaires que des victimes de l’ancien régime.

Les partis de l’opposition ont cru qu’il y aurait un affaiblissement du Pup en faveur du parti de Facinet Touré. En fin de compte l’impact sur le parti qui soutient les actions du gouvernement ne dépassa pas le stade des angoisses.

Contrairement aux attentes, l’ancien ministre de Lansana Conté ne se positionne pas en homme de consensus. Il réprouve le Forum démocratique national. Pour lui, il s’agit d’un « fourretout dans lequel on retrouve partis politiques et associations diverses. »

Dans la perspective des législatives, annoncées, il crée l’Alliance guinéenne nationale (Aguna), un regroupement de cinq partis politiques. À cette période, la stérilité politique du Forum démocratique national était évidente. L’’Alliance nationale des forces démocratiques (Anfd), elle, n’avait vécu que de nom. On peut alors dire que le leadeur de l’Unpg est celui qui donna une forte impulsion à la stratégie des alliances pour affronter les élections législatives. Les autres partis de l’opposition vont réanimer à sa suite d’autres formes d’alliances.

Le pouvoir – lui – tente de faire croire que le gouvernement mis en place au début de l’année est un gouvernement d’union nationale de transition. Il allègue de la présence au sein du gouvernement de Pascal Tolno, Secrétaire général du Parti populaire de Guinée (Pgp). Celui-ci avait été nommé ministre de l’Enseignement supérieur. Ce fut le premier exemple de nomination d’un leadeur politique par le chef de l’État. Mais il ne représentait pas l’opposition. Sa nomination n’était pas, non plus, le résultat d’une quelconque négociation avec un groupe de partis politiques.

Subséquemment, les partis de l’opposition sortent de leur torpeur. Ils veulent acculer le pouvoir à des concessions par les manifestations de contestation. Ils tentent, pour se faire, de récupérer la commémoration du 27 août en 1992. Cette célébration est cataloguée pour commémorer la révolte – le 27 août 1977 – des femmes contre les exactions de la police économique. Montée sous la 1re République, cette police avait la charge de réprimer le commerce privé de denrées alimentaires dont le monopole appartenait aux entreprises d’État.

Cet anniversaire fut doublement et douloureusement célébré. Pendant que le président de la République officiait une cérémonie gouvernementale, les femmes militantes des partis politiques de l’opposition organisaient une manifestation. Elle est considérée, par les autorités, comme une marche de protestation politique et réprimée par les forces de l’ordre. Il y a des dizaines de blessés et d’arrestations.

Le ministre de l’Intérieur et de la sécurité qualifie la manifestation « d’illégale et de défi aux autorités en vue de troubler l’ordre public ». Il promet : « Les leadeurs qui en sont responsables répondront de leurs faits et actes »29. En réalité, les leadeurs politiques ne feront pas l’objet de poursuites et d’arrestations. Crainte de débordements ou gentlemen’s agreement ? Cette manœuvre n’apporta de crédit ni au gouvernement ni à l’opposition.

Alors que se préparent les législatives, la loi anti-casse est édictée contre le vandalisme durant les manifestations et grèves à répétition. Mais cette loi devient rapidement le moyen principal que le pouvoir utilisera pour interdire les manifestations politiques en vue, dit-il, de préserver la quiétude sociale.

À cela s’ajoute un règlement d’autorisation préalable pour la tenue des meetings dans les communes et régions administratives. Malheureusement, les partis politiques rencontrent –majoritairement– des fins de non-recevoir de la part des administrateurs. Pour l’opposition, ils étaient déjà politisés et inféodés au pouvoir en place et craignaient de perdre leurs postes. Les partis politiques de cette opposition dénoncent ainsi les exactions et la gangrène politique dans l’administration.

Pour calmer le jeu, le ministre de l’Intérieur et de la sécurité organise, au début du mois de septembre 1992, une campagne de sensibilisation et d’explication. Il fait une tournée, munie d’un guide pratique à l’intention des administrateurs qui, selon lui, doit leur servir de bréviaire de comportement au sein des structures décentralisées.

L’opposition n’y voit qu’une action déguisée qui ne profitera qu’au pouvoir en place. Les évènements suscitent un réveil éphémère du Forum démocratique national (Fdn). Sous sa bannière l’opposition organise un meeting – le 6 septembre – au stade de Bonfi, dans la commune de Matam à Conakry. Une stratégie d’offensive sur le terrain est élaborée. Elle comprend :

  • -        la création et la mobilisation de forums préfectoraux pour l’organisation de meetings tampons à travers le territoire national
    -        Une marche de protestation pour dénoncer le manque de concertation qui devrait se dérouler à Conakry.
    -        une grève générale à déclencher le 2 octobre 1992, pour paralyser le pays et démontrer la force de l’opposition.
    -        la tenue des États généraux du changement et la mise en place d’un comité préparatoire de la conférence nationale.
    -        la marche prévue, pour le 19 septembre, devrait constituer l’amorce de l’ensemble du mouvement.

Bien menée une telle offensive aurait obligé le pouvoir en place à reconsidérer ses positions et certainement à s’ouvrir au dialogue. Mais le ministre de l’Intérieur et de la sécurité, Alsény René Gomez, soutenu par le ministre de la Justice, organise une conférence de presse. Ensemble, ils égrènent et commentent les 17 articles de la loi anti-manifestations publiques sur les ondes de Radiotélévision guinéenne (Rtg). L’opposition recule. Curieusement, plusieurs des principaux leadeurs politiques choisissent d’organiser des voyages d’affaires avant la date du 19 septembre. D’autres vont superviser, dans les profondeurs du pays, des meetings sans parler des résolutions du Forum.

La stratégie légaliste du pouvoir –élaborée à partir d’avril 1992– marquait encore des points.

La marche avortée du 19 septembre a traumatisé l’électorat potentiel de l’opposition. Il s’interroge, un moment, sur la valeur des leadeurs politiques. Ces derniers se sont rejeté, par insinuation, la panique qui avait balayé la stratégie du Forum. Alors qu’il s’agissait d’un mouvement d’envergure qui aurait permis aux partis de l’opposition de disposer ensemble des structures de mobilisation sur l’ensemble du territoire national. Son échec entraine, une fois de plus, l’hibernation des partis politiques. Leurs tactiques étaient bloquées, à l’avance, par la règle des lois imposée par le gouvernement contre les manifestations politiques.

Au Togo, le Général Eyadema jubilait aussi. Il avait réussi à récupérer ses pouvoirs confisqués par la conférence nationale30. L’exemple était pernicieux.  En Guinée, le pouvoir devenait –conséquemment– de plus en plus confiant. Avec l’échec des résolutions du Fdn, ses amarres sont de plus en plus assurées.

 

Publié dans Politique

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